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21 septembre 2012 5 21 /09 /septembre /2012 16:28

 

        De Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie

        à Jean-Jacques KUPIEC, Pierre SONIGO, Ni Dieu ni gêne, Pour une autre théorie de l'hérédité.

 

 

 

 

   Jean Jacques Kupiec et Pierre Sonigo sont tous deux docteurs en biologie. Le premier est connu pour ses recherche sur le développement de l'embryon, le second est l'un des pionniers de la recherche sur le virus du sida. Ils ont pour projet de questionner la biologie telle qu'elle est abordée à l'heure actuelle, à savoir sous le paradigme de la génétique. Ils proposent un retour stricte au darwinisme en mettant en avant l'évolution de sa théorie et la réappropriation effectuée par les tenants du néo-darwinisme. Ceux-ci ont en effet accepté une dualité dans l'étude du vivant qui paraît ruineuse pour la science.


   Deux processus distincts seraient censés caractériser le développement des êtres vivants. Le premier concernel'histoire évolutive de l'espèce. C'est la phylogenèse, pour laquelle, à l'heure actuelle, le darwinisme fait quasiment l'unanimité, acceptant que les variations dépendent de phénomènes aléatoires qui sélectionnent les espèces les mieux adaptées à l'environnement. En ce qui concerne le second processus, l'ontogenèse – c'est le développement progressif d'un organisme depuis sa conception, jusqu'à sa mort – il en va étonnement tout autrement. L'embryogenèse et tout le développement ultérieur d'un individu au sein d'une espèce particulière dépend, selon la théorie dominante, simplement d'un programmegénétique en action dans l'ADN.

Pour illustrer ce paradigme de la biologie moléculaire actuelle, nous allons aborder l'ouvrage de J. Monod, grand théoricien de la biologie moléculaire lui aussi, et considéré comme référence en la matière, Le Hasard et la nécessité.

   Jean-Jacques Kupiec et Pierre Sonigo vont, de leur côté, développer un argumentaire assez rigoureux à certains endroits, métaphoriques parfois, afin de mener à bien deux objectifs qu'ils semblent se fixer. Il s'agit premièrement de mettre en évidence en quoi le réductionnisme génétique dont a fait preuve jusque là la biologie moderne est l'héritier de la métaphysique d'Aristote. En effet, la cause formelle fut simplement déplacée et rebaptisée information génétique. Ensuite, pour ne pas tomber dans la simple polémique critique, ils proposent un autre modèle, un retour à Darwin, stricto sensu, pour expliquer l'embryogenèse selon le modèle de variations aléatoires et de sélection naturelle. Si la physique a abandonné les vieux modèles et a accompli sa révolution copernicienne, la biologie semble devoir rester à l'écart, surtout que l'on voit bien à quel point ce revirement du centre de gravité dans la réflexion sur le monde physique a pu, d'une certaine manière, booster son développement. C'est ce que nos deux auteurs proposent ici pour la biologie.

Le fait n'est pas de faire de la biologie une nouvelle physique, mais plutôt d'entreprendre une approche scientifique qui serait de l'ordre de celle de la physique, mais dont les objets d'études sont entièrement différents.

 

 

Phylogenèse, le darwinisme s'impose

 

   C'est Kupiec qui aborde cet ouvrage en entamant une sorte de compte rendu historique de l'arrière-plan philosophique de la recherche scientifique. Les difficultés de la biologie moderne sont attaquées de front dans cet ouvrage, et pour ce faire, il entame une réflexion en amont, sur les fondements métaphysiques qui sous-tendent toute construction de pensée. Notre auteur décide alors de questionner la notion d'espèce telle que nous la connaissons jusqu'alors. Elle semble, à ses yeux, s'être cristallisée. Conception héritière de la méthode aristotélicienne, fondée sur un principe hiérarchique d'emboîtement de groupes allant du plus général au plus particulier, l'espèce, en bout de chaîne a connu une multitude de définitions différentes lesquelles n'ont jamais rencontrées l'unanimité parmi les scientifiques. Dans l'Isagoge, l'arbre de Porphyre décrit les rapports hiérarchiques qui existent, du genre à l'espèce, au sein du vivant1. La matière, indéfinie, se voit octroyée une forme définie et éternelle qui déterminera son essence. L'ordre est alors créé à partir d'un ordre défini au préalable. Ainsi, de cette base métaphysique naîtra cette fameuse querelle des universaux. Les idées de Platon et les formes d'Aristote participent aussi bien l'une que l'autre à réalisme concernant les principes premiers et intelligibles. Le rasoir d'Okham fera table rase de ces conceptions réalistes par un nominalisme radical, l'idée étant que seuls les être singuliers existent, et la notion d'espèce n'est qu'un nom donné, sans réalité, à un ensemble d'individus chez lesquels on peut constater quelque affinité ou ressemblance. On abandonne l'essentialisme pour une conception relative et arbitraire de la notion d'espèce. Ceci constitue le premier grand moment pour nos auteurs, le second étant l'entrée de ce nominalisme dans la biologie avec Darwin. Tous adeptes du réalisme essentialistes, ses prédécesseurs sont passés en revue. Ainsi Linné voyait un fixisme total proche de l'arbre de Porphyre subissant la police de la nature, Buffon assuma une position évolutionniste, sans toutefois pouvoir se détacher de l'idée d'un prototype originel duquel les individus tendent à s'éloigner – il s'agit d'altération accidentelles, sur un fond d'essentialisme primordial, et enfin, Lamarck, qui occupera quant à lui le dernier stade avant Darwin. Lamarck conçoit concrètement l'évolution des espèces, déterminée par le rapport à l'environnement, mais dirigée dans un sens prédéfini. Le vivant suit a priori une direction toute tracée, tendant vers la perfection; les modifications intervenant alors comme des déviances dues à certaines causes existentielles, et donc accidentelles2. Le hasard commence à émerger en agissant sur le cours normal de l'évolution, provoquant par là des dégradations successives qui seront la cause de la différenciation, et plus loin la diversité du vivant. Un plan de la nature nécessaire suit son cours, lequel se voit modifié par les rencontres hasardeuses et aléatoires du dynamisme de la vie.

 

  Darwin installe alors un nouveau paradigme. Ce paradigme poursuit la question de l'évolution et l'amène à son terme en matière de liberté et de hasard. Il n'existe aucun moule qui formerait les individus; de même que les variations individuelles ne se font pas au détriment des espèces. En parfait nominaliste, il considère que les espèces ne sont que des agrégats théoriques, arbitrairement conçus pour effectuer un travail classificatoire a posteriori; elles n'ont aucune réalité en soi. La définition bien connue et généralement adoptée de l'espèce correspondrait à une communauté d'individus, isolée par une barrière reproductive. Introduite par Buffon, et reprise par Mayr, nous verrons plus loin en quoi cette dernière n'est pas plus efficiente que les tentatives précédentes. En effet, comme le dit Darwin, les barrières reproductives ne sont pas la cause de la spéciation, mais bien sa conséquence. Ce point est central car il constituera pour une grande part le malentendu que vont entretenir les tenants du néo-darwinisme.

 

  L'espèce donc n'est plus une entité statique : « Le système naturel est un arrangement généalogique, où les degrés de différence sont désignés par les termes variétés, espèces, genres, familles, etc. 3» mais bien un processus. Là où ses prédécesseurs voyaient dans la variation un écart avec le projet initial, Darwin voit la variation indéfinie comme la propriété fondamentale des êtres. En inversant le questionnement, il se demande plutôt ce qui crée l'identique – pourquoi y a-t-il une certaine homogénéité ? Pour répondre à cela, il faut considérer le pendant de sa théorie de l'évolution : le modèle de hasard-sélection. La sélection naturelle induit la spécialisation en optimisant en quelque sorte le rapport de l'être vivant à l'environnement, c'est-à-dire tout simplement, sa capacité à utiliser les ressources pour sa survie. Les interférences hasardeuses sont vues ici comme un principe de divergences de caractère, lesquels se multiplieront mieux dans certains types de condition. Nous nous permettons de passer outre les détails de l'argumentaire darwinien pour l'instant, car jusqu'alors la théorie darwinienne en terme de phylogenèse s'est imposée et n'a pas besoin, dans ce cadre-ci, d'être mise en doute.

 

   Il n'en demeure pas moins que, et c'est ce que nos auteurs mettent en évidence dans ce livre, cette théorie fut mise à l'écart dans le contexte de la biologie moléculaire, et surtout avec la montée en puissance de la génétique. Ce qu'on a considéré comme le génie génétique a, sans doute sans le vouloir, mis au placard l'approche évolutionniste basée sur le modèle hasard-sélectionpour en revenir à un modèle pré-darwinien. Ainsi, les notions de patrimoine génétique et ses corollaires que sont l'information génétique, l'échange de signaux,etc. s'imposèrent dans la discipline, qui replongeait à coeur joie dans ce déterminisme aristotélicien dont on pensait s'être débarrassé.

 

 

Réductionnisme génétique et biologie moléculaire

 

   La génétique réintroduit la dualité essence/existence, dans le cadre de l'ontogenèse, en postulant une relation spécifique entre un caractère dominant et un gène déterminant sous-jacent, entre un phénotype et son génotype correspondant. Nous allons voir que la biologie moléculaire, dès ses débuts, s'est basée sur un modèle instructif inspiré de la forme aristotélicienne. Kupiec fait alors référence à Schrödinger afin d'entamer son argumentaire. Pour le physicien quantique, il y a une séparation à faire entre science physique et sciences biologiques, séparation qui est somme toute irréductible. En physique, l'ordre provient d'un désordre originel présent dans le milieu des particules. Grâce à la loi des grands nombres, ce désordre a pu être traduit en lois générales. En effet, en comparaison, le nombre des particules dans le monde de la physique est si énorme que les deux sciences ne peuvent a priori pas être mises sur un même pied d'égalité. En biologie, selon lui, l'ordre est bien fondé sur un ordre préétabli. Inspiré par Delbrück, Schrödinger parle d'un cristal apériodique qui contient de façon codée toute l'information sur l'organisme et son organisation, information qui sera transmise de génération en génération au sein d'une même espèce.

 

   L'embryologie est cette partie de la biologie qui se penche sur l'étude descriptive du développement morphologique de l'oeuf fécondé, au fil de transformations successives, en organisme complexe. De manière plus large, ce développement progressif d'un organisme de sa forme la plus simple à sa forme mûre et complexe s'appelle, on l'a dit, l'ontogenèse. La question primordiale à laquelle doit répondre la biologie est alors de savoir comment, de façon coordonnée, un organisme contenant des milliards de cellules peut se constituer à partir d'une seule cellule.

Au cours de ce développement, les cellules se spécialisent afin de répondre à un certain nombre de fonctions (globules rouges, nerfs, muscles, etc.). Cette spécialisation se fait, d'après la théorie en place, par une expression différentielle des gènes qui provoque une différenciation cellulaire. Les celluless'influencent les unes les autres en émettant un signalsous la forme d'une molécule instructive vers une molécule réceptrice. La différenciation cellulaire est ainsi induite par un échange d'information. Mais d'où vient ce signal? Du gène bien sûr! Ce cristal apériodique, possesseur ultime de toute l'information virtuelle de l'être vivant, dont parle Schrödinger, sera recherché de plus en plus loin dans la cellule.

 

 

   Le paradigme de la biologie moléculaire se base sur deux dogmes principaux. Les êtres vivants sont constitués de deux classes principales de molécules : les acides nucléiques, qui sont l'ADN et l'ARN, et les protéines. Le gène est une partie de l'ADN et possède une information capable de synthétiser une protéine particulière. Le premier dogme veut que cette relation ne se passe que dans un sens, la transaction se fait exclusivement de l'ADN à la protéine. Le programme génétique est impénétrable, et les informations qu'il contient sont nécessaires à la fabrication d'un individu.

   Le second dogme est fondé par l'idée de stéréospécificité, à laquelle nos auteurs associent l'image de la clé et de la serrure. C'est Jacques Monod qui, dans Hasard et nécessité, assure « que la construction d'un tissu ou la différenciation d'un organe, phénomènes macroscopiques, doivent être considérées comme la résultante intégrée d'interactions microscopiques multiples dues à des protéines, et reposant sur leurs propriétés de reconnaissance stéréospécifiques. »4 Cette notion « est d'une importance centrale pour l'interprétation de tous les phénomènes de choix, de discrimination élective, qui caractérisent les êtres vivants »5.

 

  Nous le verrons dans la partie développée par Pierre Sonigo, la stéréospécificité a été de la même manière un concept phare en immunologie6. Le principe est de mettre en adéquation la forme et la charge de chaque protéine avec ses possibilités d'associations avec d'autres. Comme avec les pièces d'un puzzle, deux formes bien déterminées ne permettent qu'une seule combinaison possible. Elles se reconnaissent et interagissent selon un système bien spécifique. De fil en aiguille, la morphogenèse suit une voie toute tracée, « ce sont les relations de spécificité entre les composants du système d'un niveau inférieur qui permettent l'organisation du niveau supérieur »7 et tout l'organisme se construit comme la suite d'une chaîne causale très simple, où l'information se transmet de proche en proche.

 

   Le modèle instructif en biologie moléculaire est adopté. L'ADN porte les gènes, les gènes permettent la synthèse des protéines, ces protéines déterminent les structures cellulaires, et au final, l'organisme entier. Kupiec dit qu'il s'agit là d'un « réductionnisme (comme) une forme de matérialisme fonctionnant avec des concepts idéalistes empruntés à la métaphysique de l' « arbre de Porphyre ». » Ainsi, la recherche dans sa course folle se lança dans le projet herculéen du séquençage du génome pour décrypter l'information contenue dans chaque gène codant.

 

 

Hasard et nécessité

 

   Pour comprendre le fond de cette théorie, voyons Monod. Pour lui, le véritable point de départ de la science moderne date de la formulation qu'a faite Galilée du principe d'inertie, avec en développement parallèle, à la même époque, le cartésianisme de Descartes. Il fait alors la distinction entre deux groupes d'acteurs qui travaillent à l'élaboration de la connaissance. Le premier groupe est la communauté des scientifiques, pour qui la connaissance doit être portée sur l'objet avant tout, et de fait, sur le comment et la pure objectivité; le second est composé par les philosophes, lesquels doivent être limités à penser les intentions, le pourquoi et la subjectivité. Il qualifie même d'animismetoute tentative d'atteindre la connaissance par un moyen autre que scientifique.

 

   Il prend à parti la biologie qui s'attelle à parler du vivant, et qui est donc différente, au moins dans ses objets, des autres sciences dites dures. La physique parlera de l'inanimé, alors que la biologie traite de l'animé. Pour notre prix Nobel, donc, contrairement à l'érosion des pierres ou à l'eau qui s'écoule le vivant, les animaux ou les plantes, suit un principe interne induisant une morphogenèse autonome. Ses déplacements, sa croissance, subissent « Un déterminisme interne, autonome, (qui) assure la formation des structures extrêmement complexes des êtres vivants »8 Ceci est le point essentiel de la théorie de Monod. Il s'agit de dire que l'organisation tout entière de l'animal complexe est définie en fonction d'un projet orienté et constructif. « L'objectivité nous oblige de reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants 9» assure-t-il sans concession.

Pour bien comprendre le vivant, Monod fait appel à trois propriétés irréductibles qui le caractérisent. La téléonomie et la morphogenèse autonome, confèrent une dynamique bien précise à l'évolution des espèces, ainsi que, nous le verrons plus loin, l'invariance reproductrice.

 

   Bien qu'il semble s'être engagé sur la conception rassurante d'un ordre naturel, il ne s'arrête pas là. Le geste scientifique a ceci de particulier qu'il a tendance à décomposer lui-même le sol sur lequel il se trouve, pour l'analyser de plus près. Ainsi, Monod va questionner le code génétique, comme s'il s'agissait de trouver l'atome de la biologie, par la méthode analytique, propre à la science physique, qui consiste à décomposer l'objet d'étude en entités ultimes, en éléments de bases pour en discerner les interactions. Monod trouve son élément ultime, c'est l'ADN, l'invariant fondamental, le secret de la réplication, grâce à une complémentarité fondamentale chimique de deux fibres associées dans la molécule. « C'est à ce niveau d'organisation chimique que gît, s'il y en a un, le secret de la vie ».

   C'est lui en effet qui a découvert l'opéron-lactose. De quoi s'agit-il ? Une bactérie particulière, Escherichia coli, fabrique 3 enzymes grâce auxquels elle est capable d'utiliser le lactose comme élément nutritif en absence de sucre. Les gènes codants de ces enzyme se trouvent sur cette partie d'ADN que l'on nomme opéron-lactose. Il a montré qu'il était possible d'induire une interaction spécifique dans la régulation de ces gènes. La spécificité des activateurs/récepteurs témoignent à ses yeux d'un réseau d'interaction spécifique dirigé par le programmegénétique. Cependant, cela ne fonctionne que sur un groupe de gènes pris à part, cela n'explique pas du tout la différenciation cellulaire à un niveau plus large. Monod a pu, partant de là, déduire l'existence de deux chaînes causales indépendantes, à savoir la régulation dans le monde des signaux, et le métabolisme dans le monde de la chimie.

 

   Pourtant, Monod ne se voit absolument pas comme un déterministe, il se revendique de la tradition hasardiste darwinienne. En effet, il s'agit bien pour lui d'expliquer la différenciation cellulaire en analysant ce qui influencent le développement spécifique des cellules, c'est d'ailleurs « Le hasard pur, le seul hasard à la racine du prodigieux édifice de l’évolution : cette notion centrale de la biologie moderne n’est plus aujourd’hui une hypothèse. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience. Et rien ne permet de supposer que nos conceptions sur ce point devront être révisées. »10


 

   Monod tente alors la distinction entre un hasard qui serait en quelque sorte fonctionnel, et un hasard essentiel, lesquels participent de chaînes causales qui seraient complètement indépendantes. Grâce au textegénétique dans lequel les structures internes et héréditaires de l'organisme sont inscrites; le vivant se reproduit alors par une réplique « qui choisit et oriente les molécules qui viennent spontanément s'y associer assurant la croissance du cristal »11, le même que celui de Schrödinger. Ceci permet une invariance reproductrice chez le vivant, impliquant une conservation de l'espèce par la transmission intégrale d'un patrimoine génétiquespécifique. Par la suite, certaines perturbations survenues lors de la réplication, seront prises en compte par le mécanisme réplicateur qui les transmettra à la descendance. Ainsi, ce mécanisme reproduit le même, et c'est la perturbation de celui-ci, à cause d'une erreur, d'une mutation, qui provoque l'altérité.


   Pour expliquer la source de la diversité morphologique et physiologique des êtres vivants, il en appelle à l'application d'un ensemble de perturbations qui dégraderait le projet initial du vivant en question, par une série d'erreurs accidentelles, de mutations. De la même manière que Lamarck, pour qui la girafe, à force, et par contrainte, de manger les végétaux en hauteur, a fini par développé un long coup, l'évolution entraîne les vivants à l'adaptation au milieu. Dans ce cas, l'orchidée attire la guêpes pour assurer le transport et la diffusion de son pollen, dans le but de se reproduire. L'alliance mutuelle et parfois même symbiotique que l'on retrouve chez les plantes avec un agent animal, est soumise aux yeux de Lamarck, et il en est de même chez Monod au niveau cellulaire, au hasard, mais orientée par une nécessité contraignante préprogrammée. Dans cette optique fonctionnaliste ramenée au niveau microscopique, l'oeil d'un animal est donc fait pour saisir l'image des objets, pour voir, de même que « toutes les adaptations fonctionnelles des êtres vivants accomplissent des projets particuliers qu'il est possible de considérer comme des fragments d'un projet unique, qui est la conservation et la multiplication de l'espèce ».


 

   L'idée téléonomique laisse donc entendre que ce n'est pas l'invariance qui conserve le code génétique, mais qu'elle est elle-même déjà contenue dans ce code. L'adaptation dérive ensuite du code, et pas de l'invariance. Le mécanisme conservateur est alors l'apanage ultime du vivant. D'une reproduction invariante, Monod fabrique une invariance qui serait intrinsèque à la reproduction. Ce n'est alors pas, pour lui, la reproduction qui assure l'invariance, mais l'invariance qui assure la reproduction.

   Nous avons vu plus haut que l'ADN propre à chaque espèce est par principe inaltérable. Cependant, des erreurs peuvent survenir dans la réplication. L'altération dans la double hélice est purement accidentelle, si bien que pour Monod, la rencontre de ces séries causales indépendantes est « la source de toute nouveauté de toute création dans la biosphère ». L'évolution tient de ce phénomène. Il part du principe que l'apparition de la vie est un événement de probabilité quasiment nulle.


 

   Monod assume toutefois s'attaquer à une « philosophie naturelle de la biologie moderne » ce qui l'embarque sur un domaine qu'il avait lui-même tenté d'écarter. En effet, il ne tient pas sa séparation du pourquoi et du comment, et tente de faire intervenir les deux notions dans un système qui ne permet pas de les lier. C'est ce hasard qui prend la formulation de hasard essentiel vu plus haut. Cette apparition est survenue par une sorte de hasard essentiel, qui lance la machine du programme génétique, de là apparaît une nécessité essentielle. L'enchaînement des phénomènes déterministes qui s'en suivent sont physico-chimiques et ponctués de mutations hasardeuses. ce sont nos deux séries de relations causales indépendantes On retire de tout cela qu'il y a bien une contradiction interne dans cette théorie.

 

   L'effort est louable, tout comme l'était celui de Lamarck, mais il ne va pas assez loin aux yeux de nos deux auteurs. Plutôt, même, il prend le problème à l'envers. Pour eux, ces conceptions sur lesquelles s'est basée la biologie moléculaire pendant près d'un demi-siècle l'ont enfermée dans une mauvaise fois qu'une approche qui se veut scientifique se doit de dépasser. C'est en effet ce problème dans la conception ambigüe du hasard chez Monod que Kupiec et Sonigo vont mettre en avant. Cette approche considère la biosphère comme un cadre autonome poursuivant un projet quasiment rendu transcendant, la vie. Cette transcendance ne peut être assumée si l'on parle de biologie comme projet scientifique.

 

 

Jean-Jacques Kupiec et le darwinisme biologique

 

   Kupiec propose, on l'a dit, d'introduire le darwinisme, qui a fait effet au niveau macroscopique, en phylogenèse, au niveau microscopique, dans l'ontogenèse. Le principe est de considérer les cellules comme des êtres vivants à part entière faisant partie d'un écosystème. Cet écosystème c'est notre corps, et comme tout être vivant, la cellule n'a aucun autre projet que de se nourrir afin d'assurer sa survie. Le rôle des interactions cellulaires n'est donc plus d'induire l'expression d'un gène, mais de stabiliser certains états, qui eux, sont apparus de manière aléatoire.


   Pour mieux comprendre, penchons-nous brièvement sur le développement du Kupiec. Ainsi, on l'a dit, le modèle instructif présuppose l'hétérogénéité qu'il est censé expliquer. De plus, les expériences ne confirment pas cette théorie. Pour Kupiec, la stéréospécificité renvoie à une observation, il s'agit plutôt d'une description d'un état de faits observable qui ne trouve aucune preuve quant à sa véritable spécificité à un stade particulier du développement ou d'une lignée cellulaire. Même dans les études faites in vitro sur les facteurs de transcription (protéines qui activent ou répriment spécifiquement l'expression des gènes en se liant à l'ADN) il n'a jamais été prouvé qu'une quelconque spécificité soit à l'oeuvre dans la régulation des gènes. Mieux, il s'avère que n'importe quelle protéine peut s'associer plus ou moins bien avec une autre. Kupiec s'appuie sur des expériences pour confirmer le comportement aléatoire des cellules dans le cadre de l'identification cellulaire ainsi que l'expression aléatoire des gènes due aux hasards des interactions moléculaires. Il précise par exemple que les cultivateurs de cellules observent très souvent des transformations ou des différenciations spontanées au sein de leur colonie. Ce phénomène est mis de côté par la biologie, comme un bruit de fond. Cependant, dans le modèle darwinien que proposent nos deux auteurs, on considère ces différenciations spontanées comme une propriété fondamentale! Dans le cadre de la formation d'ordre à partir du désordre, ils supposent que la différenciation se passe d'abord de manière aléatoire, et que ce sont les interactions cellulaires qui stabilisent ces mouvements quand les cellules se trouvent dans un état adéquat pour leur survie.


   Il illustre cette théorie par le modèle de la variance, qui correspond à la mesure de l'hétérogénéité que l'on peut retirer de valeurs obtenues par rapport à la moyenne. Ainsi, si une variance est petite, à une plus grande échelle, nous aurons l'impression de voir un déterminisme à l'oeuvre. Or il n'en est rien. Imaginons que l'on verse une goute de vinaigre dans un verre d'eau. Au niveau macroscopique, on observe une sorte d'homogénéité globale. Pourtant, au niveau microscopique, la physique nous dit que les molécules sont dans un mouvement entièrement aléatoire, partant d'un désordre du type brownien12. Ce que l'on voit à notre échelle est une sorte d'invariance globale : le vinaigre a une réaction que l'on peut arbitrairement qualifier de spécifiquelorsqu'on le verse dans l'eau.

 

 

Un élastique enroulé


 

   Ce modèle prend appui sur des expérimentations qui ne démentent pas la théorie. Kupiec dit que pour qu'une théorie scientifique soit valable, on dit souvent qu'elle doit permettre des prédictions vérifiables expérimentalement. Les prédictions du modèle sont au nombre de trois : les régulateurs ne sont pas spécifiques, l'expression des gènes est aléatoire et la position des gènes détermine leur expression. Les expériences confirment le modèle, sans aucun bruit de fond cette fois, qui devrait être mis de côté. Le modèle instructif du gène est face à des expérimentations qui ne correspondent pas à son modèle, lequel doit alors recourir à un facteur caché toujours plus en profondeur. La beauté de la théorie présentée ici est percutante de par son unité et sa simplicité. Les modèles déterministes ne parvenaient pas à expliquer la redondance de certains gènes et de certaines protéines différentes ayant la même fonction, surtout qu'il apparaît que 95% de l'ADN est non codant... Le modèle de l'élastique enroulé est alors simple : lorsqu'on lâche un élastique maintenu en torsion, il se déroule spontanément en passant par différents états de torsion transitoires, en tous sens et aléatoirement. Ce modèle est confirmé par les expériences concernant la chromatine, dans ses changement d'état qui sont en effet dus uniquement à un processus de réactions physico-chimique suivant la position.


   De plus, l'évolution ne peut pas être expliquée par les mutations comme le faisait Monod, car les changements dans la séquence des gènes sont insignifiants. En effet, entre l'homme et le singe, 99% des gènes sont identiques, s'ajoute à cela que la majorité des variations se situent dans l'ADN non codant. Dans le modèle de l'élastique enroulé, seule la position des gènes change par recombinaison et provoque une évolution sans mutation.

   Les prédictions stipulaient la non-spécificité des régulateurs, une expression aléatoire des gènes, et la corrélation entre la position des gènes dans l'ADN et leur chronologie d'expression pendant l'identification. Ces prédictions ne sont absolument pas infirmées par l'expérience. Ainsi, le modèle de l'élastique enroulé, à l'inverse de la théorie génétique, tient la route.

 

 

Ecologie cellulaire

 

   Plus loin, voyons que pour expliquer le passage de l'unicellulaire à l'organisme multicellulaire, le modèle darwinien semble tout aussi efficient. Rappelons le principe de divergence que Darwin utilisait pour décrire la formation des espèces différentes. Ce principe veut en effet qu'au sein d'une même région, ce sont les espèces les plus apparentées qui entrent directement en compétition, puisqu'elles ont des besoins a fortiori comparables. En revanche, l'adaptation et les formes nouvelles réduisent l'intensité de la compétition. Il en est de même pour les cellules. Kupiec utilise un schéma très simple pour comprendre que l'adaptation des cellules est fonction de certains gradients métaboliques. Brièvement, la première cellule se nourrit et se multiplie, elle forme alors une colonie proche d'un substrat nutritif. Une fois un certain gradient métabolique atteint, la colonie arrête de s'agrandir. Pour les cellules éloignée du substrat, c'est la mort. Cependant, nous avons vu que l'expression des gènes était aléatoire. Dans la multiplicité de tentatives produite, la cellule qui naîtra avec la capacité d'utiliser le produit des cellules précédentes, comme ressources pour elle-même, se reproduira, et sera sélectionnée pour la survie. Ainsi, l'instabilité a créé de nouvelles opportunités reproductibles, recréant par là une nouvelle stabilité, avec divergence d'intérêts pour les deux colonies, lesquelles n'entrent donc pas en compétition, mais bien en une sorte de symbiose écologique. L'identification cellulaire est bel et bien un phénomène d'adaptation métabolique.

   Ainsi, le modèle de nos deux auteurs ne témoigne pas d'une différenciation cellulaire, mais plutôt d'une identification cellulaire. La différenciation hasardeuse tient de la contrainte sélective, induite par le métabolisme et l'approvisionnement des cellules en molécules. Cela implique qu'un phénomène aléatoire est reproductible statistiquement s'il se poursuit dans de bonnes conditions.

 

   Tout ceci permet de faire le lien entre la phylogenèse et l'ontogenèse, qui à présent, semblent être régis par les mêmes lois, en une notion commune que Kupiec et Sonigo appellent l'ontophylogenèse.

 

 

Le système immunitaire

 

   Vient ensuite la partie de Pierre Sonigo. Il retrace une histoire scientifique parallèle qui semble avoir subi approximativement le même cheminement. C'est en se plongeant dans l'immunologie que l'on va voir encore une fois comment le modèle instructif s'est imposé et a écarté les fondement du darwinisme.

   L'exemple de la vaccination est bien connu, la variole bovine (vaccine) permettait d'immuniser l'organisme humain contre la variole; de la même manière, Pasteur mis au point un vaccin contre la rage, en inoculant une version dégénérée du virus en question pour permettre au système immunitaire d'apprendre à combattre spécifiquement telle ou telle infection. Dès les années 50, c'est le modèle instructif qui s'impose. La capacité de reconnaissance immunitaire est alors attribuée au couple anticorps/antigène. L'antigène induit une réponse immune en agissant comme un moule sur un anticorps alors indéterminé. Il lui donne, au sens propre, sa forme et installe ce qu'on a vu plus haut, le modèle de la stéréospécificité. Cette forme d'instruction est a priori plus simpliste que celle que Monod mettra au point à la même époque avec l'induction par le gène, mais elle est en substance exactement la même. En effet, l'instruction par le substrat devient avec Monod l'instruction génétique, ce qui ne change en rien le modèle. L'apprentissage du système immunitaire consiste alors en la multiplication d'expériences basées sur la stéréospécificité qui a généré un ensemble de signaux spécifique de mise en route de la réponse immune. L'antigène appuie sur le bon anticorps-interrupteur et met en marche le système de défense.

 

 

   La point fondamental que soulève la question de l'immunité est la reconnaissance, au niveau biologique, de ce qui fait le soi du non-soi. Cette distinction de la part de l'organisme entre ses propres substances qu'il épargne, et les substances extérieures qu'il a tendance à rejeter pose un problème primordial. La réponse du modèle instructif veut que chez l'adulte, le soi est soi parce qu'il a la nature spécifique de ne pas pouvoir être reconnu par l'immunité. A l'inverse, le non-soi est par nature différent, et est donc combattu. Passons les détails, mais la théorie alors dominante proposera un certain nombre d'hypothèses ad-hoc, faisant intervenir soit les signaux, comme vu plus haut, soit une variable cachée. Le cas des maladies auto-immune est un des exemples de contradiction de cette théorie, de plus, le fameux suicide cellulaire, l'apoptose13, ne trouve pas d'explication cohérente dans ce modèle. Un signal d'auto-destruction pour atteindre un objectif supérieur n'a rien de cohérent quand on parle d'être vivant. Ainsi Sonigo introduit lui aussi le modèle darwinien au sein de l'immunologie. Grâce à celui-ci, il n'est pas besoin d'imaginer que la cellule vise un projet transcendant qui serait le maintien de son écosystème, notre organisme. L'équilibre du système n'est pas la cause de la sélection, il n'y a aucun ordre transcendant à atteindre, dont le projet serait programmé virtuellement au sein même de notre patrimoine génétique. C'est l'anthropocentrisme de la conception de notre monde intérieur qui crée cette vision romanesque. La sélection naturelle darwinienne ne planifie rien, mais est une succession de stades initiaux de l'évolution procurant des avantages ponctuels, favorisant ainsi la survie. L'homéostasie n'est pas programmée, mais en s'adaptant à l'environnement, dans une forêt ou dans le corps humain, les interactions créent un équilibre profitable pour chaque composant. On a donc affaire à un modèle du développement des lymphocytes similaire au passage de la cellule à l'organisation multicellulaire.

   Pour ne pas faire trop long, nous n'allons pas aborder les nombreuses fables que propose Sonigo. Ce sont en effet des mises en situation métaphoriques, agréables à lire pour une compréhension systématique, proposées à différentes échelles, de ce qu'on a vu plus haut. Il en ressort que la croissance et le vieillissement peuvent être compris par le modèle de l'apparition du multicellulaire. De même que les cancers et virus (le Sida par exemple) répondent du même principe. Le virus ne vise pas la destruction d'une entité, notre corps, mais il s'agit pour lui de s'installer pour y vivre, comme dans un environnement. Comme les cellules du foie n'ont pas le programme de faire les fonctions du foie, mais s'intègrent biologiquement à leur environnement.

 

 

De la mémoire immunitaire à l'identité

 

   Sonigo met alors ce que nous venons de voir en lien avec le système nerveux. Les neurones sont des cellules qui doivent se nourrir. Pour ce faire, les nerfs leur permettent d'aller chercher leur nourriture à distance. Ainsi, les circuits de la mémoire et de la pensée trouveraient leurs origines dans l'établissement de chaînes alimentaires optimales entre cellules du système nerveux. On atteint alors la limite qui semblait infranchissable aux yeux de Monod. Cette limite est double dans son approche et se rejoint dans la synthèse que proposent nos auteurs. Il s'agit de l'origine du code génétique et du fonctionnement du cerveau. La vision du vivant qu'implique le modèle instructif est une vision de laboratoire, considérant le vivant alors comme une sorte de monstre, créé de toutes pièces. Les êtres vivants, dans leur diversité la plus totale, se développent dans un milieu naturel qui implique une relation totale avec leur biotope. Ils ne vivent pas sous la contrainte de faire vivre leur environnement, mais sous la contrainte de vivre tout simplement. L'ADN prend alors la forme d'une population de molécules participant à un ensemble de processus dont se démarquent les interactions les plus probables et partant, les plus stables. Il s'agit d'une sorte de dialectique incessante entre l'environnement et leur développement intérieur qui a lieu dans cette relation.


 

   La formation de l'individu est continuelle. Nos modifications intérieures font de nous un autreà chaque instant, et est un nousà l'origine. De même que l'individu psychologique est fait de la somme de ce qui l'entoure et de ce qu'il est à l'intérieur. L'identité prend un dimension collective. Le nominalisme appliqué au terme d'individu vaut tout aussi bien14. Or nous avons aujourd'hui, étalée devant nos yeux, la divisibilité infinie de notre être. Un scientifique disait qu'on ne peut faire de science sans métaphore, mais que le prix à payer, c'était une extrême vigilance. Ainsi, la notion de mémoire cellulaire acquiert un sens tout particulier qui n'a rien d'un réalisme (la cellule ne peut avoir aucune mémoire au sens où l'entend pour l'homme). C'est simplement la trace d'une rencontre et de la modification qui s'en est suivi. Il faut éviter le piège de l'anthropomorphisationdes concepts, au risque de passer à coté de l'objectivité, en empruntant la voie d'une sorte de subjectivité mal placée. La tendance proprement propre à la pensée humaine mène à une confusion qui projette le regard intensément téléonomique – pour reprendre les termes de Monod – de l'activité du cerveau à la nature tout entière. Il s'agit bien de la difficulté de conférer aux choses étudiées une complexité plus grande que ce que la science qui nous entoure ne nous le permet.


   Une éthique est possible par tous ces chemins nouvellement ouverts, voyons en cette ouverture toute la beauté et la puissance d'un changement de paradigme comme celui-ci.


Ouverture de la biologie


 

   La biologie moléculaire siège sur des dispositifs expérimentaux et une méthodologie très puissants, possédant une force de calcul et de grandes possibilités techniques. Pourtant, pour l'attaquer, les auteurs n'ont eu à mettre en avant qu'une faille dans la théorie même. Le revirement est dans la question posée. Le sous-titre dit bien qu'il s'agit d'une autre théorie de l'hérédité, précisant par là implicitement que la génétique n'est pas lathéorie, mais une théorie. Cette théorie, ils l'annoncent dépassée. C'est pourquoi nous pouvons dire que lorsqu'un paradigme scientifique atteint des limites qui semblent indépassables, c'est une nouvelle science qui doit être établie. La biologie reste la biologie dans son objet, mais c'est sa méthode qui est revisitée, et par là, les questions qu'elle soulève sont nouvelles.

   L'ouvrage montre comment des années de travail peuvent être conditionnées par des postulats cosmologiques. Au terme de l'analyse, c'est une réflexion sur les fondements même de la science qui se dégage. La conscience au sens de perception du monde est modifiée, ce qui implique plus loin la possibilité même d'un engagement éthique.

 

   Ainsi, par la variance, Kupiec propose un probabilisme qui réduit la différence à un hasard originel et créateur. L'ontophylogenèse conduit à une relativisation de l'identité en tant qu'individu à proprement parlé. Nous sommes en effet en processus constant d'individuation, tout comme le sont les espèces. On sait aujourd'hui, et cela se confirme, qu'il n'est rien de purement essentialisable. Il n'existe que des théories qui tiennent la route, pendant un laps de temps court ou long. La réussite est totale parce que leur modèle laisse la liberté des choses s'accomplir. Leur théorie s'adapte parfaitement à la biologie en ce qu'elle se charge de donner une description valide du vivant dans son ensemble. On voit dans les faits ce qu'on attendait de la théorie. Ils se détachent cependant de toute conséquence philosophique, laissant le questionnement éthique et les implications dans la société que leur conception provoquera au penseurs et acteurs spécialisés. Ils ont simplement créé l'évènement. Même si ce n'est que par statistique, à l'aide de moyenne, que ce qui sort de l'ontophylogenèsepeut à peine se remarquer, l'exigence scientifique implique les chercheurs à ne pas s'arrêter en chemin. Lorsque la théorie de la relativité fut proposée et vérifiée, elle ne changeait rien concrètement et immédiatement. Elle ouvrait cependant la recherche à quelque chose d'inconnu, à un voyage vers le jamais vu encore. Le projet ne s'arrête pas à ce qu'il découvre, mais ouvre un plus loin. Ce plus loin, même les auteurs ne peuvent en imaginer la postérité.


   L'implication d'une telle avancée aura des effets sur des milieux aussi divers que la médecine, la pharmaceutique, les vétérinaires, l'éthique, la technique et les OGM, … Autant de questions qui touchent à la société dans son ensemble. Ceci explique en partie les difficultés inhérentes au passage d'un paradigme à l'autre dans la société globale – où tout est en interaction avec tout – actuelle.

De plus le problème est aussi du au fait qu'ils s'attaqent à la singularité de l'homme. Quand on y regarde de plus près, il s'est toujours octroyé une place de choix dans le cosmos. La science qui rétablit une sorte de continuité non-nécessaire dans l'agencement des choses, de par ses descriptions de plus en plus fines, l'ont toujours déçu. La terre n'est plus au centre de l'univers, l'homme n'est plus le but de l'évolution des êtres vivants, et à présent, il n'est même plus le centre de son univers intérieur. Sa volonté orgueilleuse de se démarquer de tout autre organisme le fait orienter ses recherches, parfois mêmes ses réponses, dans un sens qui le rassure. Pourtant, même s'il se voit blessé en tant qu'espèce, l'homme acquiert une nouvelle singularité. Il sait à présent qu'il est entièrement différent de tous les autres. Quand on sait que la présence de tel ou tel système de défense immunitaire traduit d'anciennes interactions avec des microbes, dans les vies qui nous ont précédés, que la moitié de nos gènes proviennent de rétrovirus, on se sent lié avec un tout d'une manière toute particulière.


 

   La puissance de la théorie ne se ressent pas à la construction rationnelle qui forcerait l'adhésion. Si le gène était codant de manière univoque, qu'en dire d'autre ? Il va de soi que le vivant devait laisser sa part de mystère, car le jour ou il sera mis à plat, c'est que nous n'en ferons plus partie. C'est le tout de la vie qui est entendu et abordé ici. Il en va ainsi de même pour un virus, une protéine, un homme, une forêt, ou que sais-je encore. La proposition possède la beauté des grandes théories, associée à l'évènement tel que le conçoit par exemple Deleuze. Novatrice dans son approche, elle paraît, dès qu'elle assimilée, tellement logique et aller de soi qu'elle ne peut plus être ignorée. En s'attaquant à un monstre de la science, Monod, en réduisant le tout à Aristote, quelques mots suffisent pourtant pour convaincre de la verticalité réductrice de cette conception. La question n'est plus de rechercher la cause première, qui stopperait là toute pensée, mais bien d'ouvrir la connaissance à une plus grande universalité, aux différences irréductibles de l'Etre dans son ensemble. Elle fait événement parce que cette théorie ne naît pas du néant mais est faite de tout ce qui la précède, ainsi que de tout ce qui la suivra.

 

 

   Terminons sur un passage au sujet de ce que dit Deleuze, dans Différences et répétitions, qui semble assez bien résumer l'ouverture englobante que cette nouvelle approche propose :

 

   « Si l’univocité de l’être implique que les êtres ne se distinguent que par leur degré de puissance, et si ce degré de puissance, avant de se comparer à d’autres est d’abord justiciable d’une épreuve intrinsèque où il ne se mesure qu’à lui-même alors un être ne se laisse définir que dans la déclinaison singulière de ses affects (plutôt que par genre et différence spécifique) et cette ontologie évanouissante, qui ne connaît que des devenirs, des couplages transversaux et des détournements mutuels, coïncide avec la description d’un champ d’expérience affranchi de la tutelle d’un sujet (car « ce que peut un corps » nul ne le sait d’avance). S’y effectue tout aussi bien le passage d’un régime du sens propre et de la métaphore réglée à un régime de la « littéralité » anarchique ou tout communique en droit avec tout »15.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

notes :

 

 

 

1J.-J. Kupiec, P. Sonigo, Ni Dieu ni gène. Pour une autre théorie de l'hérédité, Seuil, Paris, 2000.

2Aristote fait une distinction claire entre les différences accidentelles et les différences essentielles.

3Ibid, Cité par Jean-Jacques Kupiec p.50. (DARWIN, l'Orignie des espèces, Maspero, 1980, p.563)

4J. Monod, Le Hasard et la Nécessité: Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne. Paris, Le Seuil, 1970, p. 118

5Ibid, p. 80

6En témoigne le complexe anticorps-antigène très utilisé.

7J.-J. Kupiec, P. Sonigo, op. cit., p. 73

8J. Monod, op. cit., p. 23

9Ibid, p. 23

10Ibid, p. 127

11Ibid, p. 122

12Ce phénomène a été décrit mathématiquement pour la première fois en 1827 par le botaniste Robert Brown . Appelé aussi processus de Wiener, il décrit le mouvement aléatoire d'une particule immergée dans un fluide. Elle est en effet soumise à des chocs répétés avec les molécules du fluide environnant. Il en résulte un mouvement très irrégulier.

13Voir l'ouvrage de J-C. AMESEIN, La sculpture du vivant, Seuil, Paris, 2003.

14« Individu » fait bien référence à une entité indivisible...

15F. Zourabichvili, Deleuze. Une philosophie de l'événement,PUF, coll. Philosophies, Paris, 1994.

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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 07:39

 

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15 janvier 2010 5 15 /01 /janvier /2010 17:21


Situés en bordure des continents, ces espaces marins, dont la profondeur dépasse rarement deux cents mètres, représentent 8 % du volume des océans, mais abritent la majeure part de la vie marine. Les récifs de corail en renferment à eux seuls le quart. Quant aux algues, elles produisent les trois quarts de tout l'oxygène de notre atmosphère et nourrissent une faune surprenante.
  • Planète Terre est une série documentaire télévisée gagnante d'un Emmy Award et d'un Peabody Award. Coproduite par Discovery Channel et NHK, en association avec la Canadian Broadcasting Corporation (CBC), la série est diffusée pour la première fois le 5 mars 2006 au Royaume-Uni. Réalisée par Alastair Fothergill, la série est originalement narrée par David Attenborough, mais la version étatsunienne par Sigourney Weaver et française par Jacques Frantz. Celle de Charles Tisseyre dans le cadre de l'émission Découverte. La série Planète Terre a été conçue en janvier 2002 après que la productrice de la BBC, Lorraine Heggessey, a demandé à Alastair Fothergill une suite à son succès de 2001, La Planète bleue. La réalisation de la série documentaire s'est échelonnée sur cinq ans et nécessité deux mille jours de travail sur le terrain. Plus de quarante caméramans ont tourné des images depuis 200 lieux sur la planète. La série Planète Terre est la seule en son genre à être entièrement tournée en haute définition. Chaque émission a une durée d'environ 58 minutes. Cela comprend les Carnets de tournage, un spécial de dix minutes détaillant un événement particulier du tournage. Le budget de la série s'élève à 22 millions de dollars (US).
  • Cette définition plus géographique apporte un classement dans les étendues d'eau salée. Les océans sont les plus grandes étendues d'eau salée. Viennent ensuite les mers de tailles variables. Les mers peuvent être ouvertes ou fermées c'est-à-dire en contact ou non avec les océans. Si elle est entourée quasiment de tous côtés par des terres, comme la mer Noire, elle est qualifiée de mer intracontinentale ou intercontinentale, tandis qu’une mer largement ouverte sur l’océan, comme la mer de Chine, est une mer bordière ; elle est dite épicontinentale quand elle recouvre un plateau continental, comme la mer du Nord. Si la mer est en contact avec un océan elle se distingue de ce dernier par sa position géographique généralement enclavée entre des masses terrestres ou simplement limitée par le plateau continental. Ex. : La Manche communique avec l’océan Atlantique par la mer Celtique, mais elle s’en distingue par sa position médiane entre les côtes sud de l’Angleterre et les côtes nord de la France. Une mer en contact avec un océan peut se distinguer par des conditions physiques particulières. Ex. : la Méditerranée communique avec l’océan Atlantique par le détroit de Gibraltar. Elle se distingue de l’océan par sa position enclavée entre l’Europe, l’Asie (Proche-Orient) et l’Afrique et par des conditions maritimes différentes (différentiel de température entre l’océan et la mer, faune et flore distinctes, marée de plus faible amplitude pour la Méditerranée...). Autre exemple : la mer des Sargasses avec son accumulation d’algues brunes au large de la Floride se distingue de façon arbitraire de l’océan Atlantique. Le terme de mer est aussi utilisé pour désigner certains grands lacs, en particulier lorsqu’ils n’ont pas de cours d'eau dans lesquels ils se déversent. C’est le cas par exemple de la mer Caspienne ou encore de la mer d'Aral. On parle alors souvent de mer fermée.
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28 novembre 2009 6 28 /11 /novembre /2009 16:41


Homo sapiens - une nouvelle histoire de l'homme est un film documentaire réalisé par Thomas Johnson en 2005 qui présente une hypothèse très controversée sur l'origine et l'évolution de la bipédie humaine développée par la paléontologue française Anne Dambricourt-Malassé.
  • Contenu du documentaire : Diffusé le 29 octobre 2005 par la chaîne de télévision Arte, co-productrice du documentaire, le film développe une hypothèse alternative à la théorie standard de l'East Side Story qui explique l'apparition de la bipédie humaine par l'isolement géographique de petits groupes d'hominidés en particulier dans l'est africain suite à des changements climatiques et environnementaux. L'hypothèse développée dans le film, baptisée "Inside Story", repose sur les travaux de la chercheuse Anne Dambricourt-Malassé qui a étudié la flexion de la base du crâne et notamment de la rotation de l'os sphénoïde au cours de l'évolution humaine. Cette chercheuse décrit la bipédie humaine comme le résultat d'un processus évolutif « interne » impliquant des gènes du développement et des effets épigénétiques. La bipédie permanente ne serait donc pas une adaptation à la raréfaction du couvert forestier mais la manifestation d'une tendance évolutive déjà inscrite dans les modifications préalables de l'os sphénoïde. Ce documentaire expose une théorie en désaccord total avec les connaissances actuelles sur la biologie de l'évolution : l'évolution de l'homme est expliquée via une logique finaliste d'« évolution interne » incompatible avec le néo-darwinisme qui est au cœur de la biologie de l'évolution contemporaine. En effet, le néo-darwinisme explique l'évolution des espèces par le mécanisme de sélection naturelle des individus les plus adaptés à leur environnement ; ainsi, les transformations anatomiques sont dues à des mutations aléatoires du génome et seules celles qui contribuent à une meilleure adaptation des individus sont préservées et se propagent dans l'espèce. A l'inverse, selon l'Inside story, la flexion de l'os sphénoïde anticipe et est responsable de l'évolution l'homme vers la bipédie. Cette théorie prétend aussi faire appel aux théories des systèmes complexes ainsi qu'à la théorie du chaos sans développer en détail comment ces concepts interviennent.
  • La polémique : À l'annonce de sa diffusion les responsables du film ainsi que la chaîne Arte ont fait l'objet d'une campagne de contestation menée par un chercheur du Muséum, Guillaume Lecointre, lequel dans une lettre ouverte accuse la chaîne et la maison de production de cacher la présence d'organisations américaines créationnistes. Ceci n’empêcha pas la diffusion du film mais au vu de cette mise en garde Arte programma en urgence un débat avec Pierre-Henri Gouyon, spécialiste de la théorie de l’évolution et directeur du laboratoire d'Écologie, Systématique et Évolution à Paris-XI Orsay et Michel Morange, professeur de biologie (Université Paris-VI et à l’École normale supérieure), qui exprimèrent de graves doutes quant à la validité des éléments présentés. Dans les jours qui suivirent les journaux Le Monde, Libération, Science et Vie, Pour la Science, ont fait allusion au lien apparent entre la vision téléologiste et anti-darwinienne de la thèse présentée et le mouvement Intelligent design (dessein intelligent) aux USA. Guillaume Lecointre fut à la pointe de cette campagne, et non seulement critiqua vivement le contenu du documentaire, épaulé en cela par la plupart des spécialistes du domaine, mais il dénonça une campagne pro-créationniste liée à l'Université interdisciplinaire de Paris. De leur côté, la maison de production et le réalisateur ont perçu cette campagne médiatique comme une manipulation idéologique de la part de Guillaume Lecointre. L'Université interdisciplinaire de Paris a, quant à elle, vivement protesté contre les accusations de Guillaume Lecointre, envisageant des poursuites judiciaires. En fait il apparaît que Guillaume Lecointre a inclus cet épisode dans un conflit de longue date qui l'oppose à l'Université interdisciplinaire de Paris, et à Anne Dambricourt en particulier. Par ailleurs Le Monde a publié un droit de réponse d'Anne Dambricourt, auteur de cette théorie. Les défenseurs de ce documentaire disent que les thèses scientifiques présentées n'ont jamais eu de liens avec le dessein intelligent (thèse d'une programmation intelligente) ni avec le créationnisme, arguant que les scientifiques observent des processus dits « non-darwiniens » qui ne font pas pour autant référence au Dessein Intelligent. Ils affirment que les découvertes d'Anne Dambricourt-Malassé publiées à l'Académie des sciences en 1988 et en 2006 sont scientifiques et n'ont jamais eu de relations avec cette école américaine. Néanmoins, Anne Dambricourt défend elle-même une thèse théologique très proche du dessein intelligent, en arguant que « S’il s’avère au contraire, par des voies scientifiques, que les hommes s’inscrivent dans une naissance, un processus non aléatoire, alors le fait de parler de Dieu a un sens et ce sens s’inscrit dans celui du processus ». Les paléontologues et paléoanthropologues intervenus depuis dans ce débat, reconnaissent la qualité du travail d'Anne Dambricourt sur l'os sphénoïde, mais rejettent en bloc l'interprétation qu'elle tire de l'évolution de cet os pour conclure sur l'évolution humaine en général. Les premières analyses des intrusions idéologiques plus particulièrement dans le cadre de la théorie de l'évolution et des débats philosophiques consécutifs sont parus en librairie.
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24 novembre 2009 2 24 /11 /novembre /2009 08:51
Partie 4
Partie 5


La science a toujours refusé de croire que les animaux pouvaient avoir des sentiments, à l’instar des humains. On ne leur attribuait que des réactions basiques et instinctives comme la peur ou l’agressivité. Depuis peu, quelques rares scientifiques osent remettre ce dogme en question. A l’aide de nouvelles technologies et de nouvelles techniques de recherche, ils partent à la découverte des sentiments des animaux. On apprend ainsi qu’une mère dauphin gronde son petit exactement comme le ferait une mère humaine, avant de le rassurer sur son amour. On découvre également comment l’altruisme et l’amour d’un troupeau d’éléphants leur permettent de sauver la vie d’un éléphanteau malformé.
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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 12:04
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18 septembre 2009 5 18 /09 /septembre /2009 16:52
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13 septembre 2009 7 13 /09 /septembre /2009 23:40
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13 septembre 2009 7 13 /09 /septembre /2009 23:38
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13 septembre 2009 7 13 /09 /septembre /2009 23:34
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